Dix-neuvième siècle, je te salue !
À propos de la protection des œuvres photographiques…
Jusqu’en 1839 et la genèse du génie Niepce-Daguerre devant une Académie des Sciences présidée par François Arago à Paris, les législations souveraines de la propriétés des droits d’auteurs disposaient des décrets de l’An II de la République française des 19-24 juillet 1793. Conformément à l’article premier du dit décret, les auteurs d’écrits, les compositeurs, les peintres et dessinateurs, autrement dit « toutes les productions du génie et de l’esprit », leurs héritiers ou cessionnaires jouissent à vie du droit exclusif d’aliénation, de distribution ou de cession de la propriété de leurs ouvrages en tout ou en partie dans le territoire de la République. Néanmoins, il ne fut pas plus scabreux plaidoyer que celui de la photographie lorsqu’elle fut contrainte d’obvier aux arcanes de la justice comme le rapporte Jacques-Ernest Bulloz (1858-1942) et Alcide Darras (1861-1908) dans « La propriété photographique et la loi française » :
Aussi, lorsqu’un demi-siècle plus tard la photographie à ses débuts dut pour la première fois défendre ses droits devant les tribunaux , n’eut-elle qu’à invoquer le principe général de la loi de 1793. C’était pourtant alors un art bien modeste, ses résultats encore très imparfaits prêtaient facilement à la contradiction; aussi eut-elle d’abord à lutter contre bien des préventions , à vaincre bien des résistances. Les juges eux-mêmes hésitaient, il y avait divergence dans leurs arrêts, la Cour de Paris statuait dans un sens, la Cour de Bordeaux dans un autre.
À dessein, la photographie et son émancipation s’imposent aisément comme le sujet de leur siècle au cœur même de l’exposition. À ce titre, conformément aux articles 5 et 6 du règlement interne, les quatre commissions chargées de proposer à l’étude le programme des questions à soumettre au Comité d’organisation du Congrès international de photographie dans sa séance du 31 janvier 1900 distraient deux questions fondamentales : la protection de la propriété des œuvres photographiques et l’assimilation complète des œuvres photographiques aux œuvres graphiques et artistiques, la distinction des droits de propriété et des droits d’emploi.
La sixième et ultime séance en date du 28 juillet 1900, placée sous l’égide des présidences de Davane puis du général Sebert, assoit les dernières volontés du Congrès quant à la préservation des œuvres photographiques et sur proposition, leur confère un état en tout point parallèle à celui des œuvres du dessin, de la lithographie et de la gravure. Dans ces conditions, le droit de propriété du cliché s’affranchit de son droit d’usage et ce, bien que le Congrès reconnaisse la légitimité substantielle acquise de ce droit à l’opérateur. Celui-ci ne peut jouir parallèlement de son droit d’emploi. Une protection des œuvres produites par l’objectif que E. Cousin, secrétaire-agent de la Société française de photographie ratifie dans le Bulletin annuel.
Après une assez longue discussion sur la onzième question (Distinction des droits de propriété et des droits d’emploi du cliché), le Congrès adopte une série de propositions reposant sur ces principes : que le droit de propriété du cliché est distinct du droit d’emploi de ce cliché, que la propriété matérielle du cliché appartient à celui qui l ’a exécuté; que le droit de permettre l’ emploi du cliché appartient à celui qui l’a commandé et payé, que le droit de destruction du cliché appartient indifféremment et séparément à qui l ’a commandé et à qui l’a exécuté ou fait exécuter sous ses ordres. Le Congrès complète la question de droit de propriété du cliché par l ’adoption de propositions relatives aux droits inhérents aux œuvres photographiques. Il se rattache d’abord à la définition d’un portrait donnée par M. Davanne et, considérant comme portrait toute représentation v o u lu e d’une personnalité, que l’épreuve ait été faite directement ou extraite d’ un groupe ou d’une scène quelconque ; il reconnaît au modèle le droit d’interdire, en toutes circonstances, la publication de son portrait, ainsi défini. En ce qui concerne la reproduction d’une épreuve photographique, le Congrès admet que le possesseur de cette épreuve ne pourra en faire, faire faire, permettre de faire la reproduction par un procédé quelconque et en un format quelconque que pour son usage personnel et non pour un profit commercial ou dans un but de spéculation quelconque ; dans ce cas, il lui faudra l ’assentiment des ayants droit.
…et du droit de photographier
L’arrêté conditionnel de février 1900, sous l’impulsion du ministre du Commerce et de l’Industrie Alexandre Millerand (1859-1943), conditionne le droit à l’image dans l’enceinte de l’exposition centennale. En vertu de ce dernier, seuls les appareils dits « à main » s’affranchissent de toutes réglementations puisque exempt de tous droits durant la durée d’ouverture au public. Au contraire, les appareils à pied sont soumis au double impératif administratif et pécuniaire. À l’autorisation manuscrite délivrée par le commissaire général Alfred Picard et à l’assujettissement d’une redevance de 1000 francs par appareil, les opérateurs se voient strictement appesantis par le poids du temps puisque l’usage des appareils à pied ne peut excéder une heure de l’après-midi. De surcroît, une mention remarquable est rédigée quant à la captation des objets exhibés. Ces derniers sont au même titre conditionnés à une autorisation manuscrite de l’exposant. Aussi, les principaux intéressés se voient contraints de solliciter, auprès des commissaires généraux étrangers et des concessionnaires, l’aval indispensable à la reproduction de leurs palais et pavillons. Un formalisme annihilé de toute considération technique que dénonce Léon Vidal (1833-1906) président de la Commission permanente des travaux en avril 1900 dans sa revue internationale et universelle : Le Moniteur de la photographie.3
On avait espéré que le coût de la séance serait bien moindre. Il y a lieu de se demander pourquoi l’on impose à la photographie sur pied de si dures conditions. Et d’autre part, pourquoi, sans tenir compte des conditions d’éclairages variant avec l’heure, on fixe la limite extrême de l’emploi des appareils à une heure de l’après-midi.
- L’exposition Universelle de 1900 est recensée comme la quatorzième exposition reconnue par le Bureau International des Expositions. Il s’agit de la cinquième exhibition instituée à Paris depuis 1855. ↩︎
- Alfred Picard est chargé dés 1889 par Tirard, du rapport d’exposition de la même année. ↩︎
- Le 15 janvier 1900, Léon Vidal dénonçait l’omnipotence et l’absurdité du Comité dont les nombreux prétextes bureaucratiques ↩︎